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Nothing Of A Hero

Je n'aurais jamais cru que le temps puisse passer si lentement, de l'autre côté de l'Atlantique. Que tout serait si différent, si étranger et déstabilisant, si difficile… si difficile entre nous, surtout.

Cela fait un mois que l'on est ensemble, à la fois si peu et tellement, mais son regard est toujours aussi accusateur et ses pleurs la seule réponse au moindre de mes gestes. Je ne me souviens plus de la dernière fois où j'ai dormi profondément, où j'ai soufflé cinq minutes, où j'ai cessé de m'en faire et de culpabiliser. Il regarde Okami dormir de ses jolis yeux noirs, assis sur un plaid en face de moi, et comme à chaque fois où il est silencieux, son attention est reportée ailleurs, partout sauf sur moi. Je ne sais plus quoi faire pour m'attirer ses grâces, pour qu'il ne me prenne pas pour l'ennemi… je suis épuisé de constamment lutter contre lui.

Et pourtant, ça ne fait que commencer.

L'heure de dîner est passée depuis longtemps mais il a refusé de manger, une fois de plus, et tout ce que je peux faire c'est le regarder avec un air désespéré en me sentant impuissant. Je pourrais aller chercher le téléphone et appeler Violaine, me plaindre un peu pour qu'elle me réconforte comme d'habitude, choisir la solution de facilité – fuir. Mais je ne peux plus jouer aux gamins, plus maintenant ; je dois apprendre à me débrouiller seul, à me comporter comme un adulte.

Je devrais être capable de m'occuper de mon fils , bon sang.

Un cliquetis nous sort de notre silence et je lève lentement les yeux vers la porte, rencontrant sans surprise la silhouette de Vincent, qui revient les bras chargés de sacs.

— Hey, lance-t-il à mon intention en les déposant à la cuisine.

Je fais l'effort de me lever, pinçant l'arête de mon nez un instant pour que ma tête cesse de tourner à cette simple action, et le rejoins autour du bar de marbre qui sépare le salon de la cuisine.

— Comment ça va ? demande-t-il doucement en m'embrassant le front.

— Ça va, mens-je en m'accoudant au bar. Tu as passé une bonne journée ?

— Les travaux avancent doucement. Ils veulent encore modifier une des ailes du bâtiment alors que les plans ont déjà été validés… je te jure qu'ils vont me rendre dingue, à changer d'avis.

— Tu ne devais pas prendre des vacances ? soupiré-je malgré moi, conscient que je lui répète la même chose depuis presque un mois déjà.

— Je te promets qu'après ça, je n'accepte plus aucun autre projet, répond-il sur un ton d'excuse. Comment va Noah ?

— Tu veux dire, à part qu'il me déteste ? Il va bien.

— Il ne te déteste pas…

Abandonnant les courses, Vincent retourne au salon pour s'agenouiller devant lui et lui parler quelques instants en anglais. Noah baisse les yeux sur le lapin en peluche qu'il tripote depuis qu'il est arrivé, la seule chose qu'il ait acceptée de moi, apparemment pas intéressé par les propos de Vincent. Lorsque ce dernier le soulève dans ses bras, il ne proteste pas mais met un point d'honneur à détourner la tête à mon approche.

— Il fait bien semblant, alors, fais-je remarquer un peu amèrement.

— C'est juste que tu es stressé et ça doit l'affecter.

— Je suis stressé parce qu'il refuse de me regarder…

— Je sais, Zach, mais tu dois lui laisser le temps de s'habituer à nous.

S'habituer à moi, plutôt. Je me garde de faire la remarque à voix haute et reporte mon attention sur les courses, que je prends la peine de ranger avec soin pour me changer les idées. Vincent continue à parler à Noah mais je suis trop fatigué pour me concentrer sur ce qu'il dit. Ce n'est pas comme s'il allait lui répondre, de toute façon.

— Tu as dormi cette nuit ? demande soudain mon amant en se postant devant moi, l'air inquiet.

— Plus ou moins, concédé-je. J'ai l'air si terrible ?

— Tu as l'air épuisé.

— Je le suis.

— Vous avez mangé ?

— Non… il ne veut toujours pas manger avec moi et ça m'a coupé l'appétit.

Vincent ne répond pas mais installe Noah dans sa chaise avant de m'indiquer d'aller m'asseoir aussi, le temps qu'il apporte de quoi dîner. Je ne suis pas sûr d'avoir la force d'avaler quoi que ce soit mais il faudra bien que ça cesse, cette sorte de dépression déplacée qui m'assaille depuis un mois.

Je regarde Noah, toujours fasciné par son lapin, et lui caresse doucement la tempe pour attirer son attention. Il écarte légèrement sa tête de mes doigts, peut-être inconsciemment, et je ne peux m'empêcher de serrer le poing en le ramenant sur la table. J'ai fait semblant que ça irait la première semaine, forcé mon sourire la seconde, continué d'espérer la troisième, puis toute cette mise en scène a fini par me taper sur les nerfs et j'ai préféré être ouvertement morose que de me voiler la face. Vincent sait à quoi s'en tenir de toute manière ; les choses ne se passent pas aussi merveilleusement bien qu'espéré.

Il revient rapidement avec deux assiettes et un plat préparé pour bébé, qu'il dépose devant Noah avant de lui tendre une cuillère. Celui-ci ne lève pas vraiment les yeux mais attrape tout de même sa cuillère, dont il se sert pour étaler la purée de légumes qu'il a devant lui tandis que je regarde ma paella avec un air suspicieux.

— Ce n'est pas moi qui l'ai faite, souligne Vincent avec un sourire. C'est surgelé.

— Merci, soufflé-je en sous-entendant un « merci de ne pas l'avoir faite ».

À mon grand soulagement, Noah est décidé à manger cette fois-ci. Je le regarde du coin de l'œil tout en picorant des grains de riz de ma fourchette.

— Il faut que tu manges, insiste Vincent en me voyant abandonner une grande partie de l'assiette.

— Je n'ai pas faim.

— Je m'en moque. Tu as encore perdu du poids, hein, constate-t-il en fronçant les sourcils.

Je n'ai rien à répondre à ça. Déjà que je n'ai jamais été bien épais, depuis quelque temps ça ne s'arrange pas. Comme parfois à ces mots, une vague d'angoisse me serre le cœur à l'idée que cet enfant va peut-être nous coûter notre couple, parce que je ne suis pas capable de gérer correctement la situation comme Vincent le fait si bien.

— Je suis désolé, dis-je tout bas en me forçant à avaler une bouchée de plus.

Sa main qui se glisse sur ma nuque, ses lèvres sur ma tempe, cela devrait suffire à me rassurer mais c'est tout juste si je les sens. Il me soulage tout de même de mon calvaire en débarrassant la table, me voyant à deux doigts de vomir si j'avale quoi que ce soit d'autre, et nous sort une compote à chacun que je mange sans trop de mal.

Noah non plus, d'ailleurs. Elles ne doivent pas avoir le même goût quand c'est Vincent qui les distribue.

Le téléphone portable de celui-ci se met soudain à sonner, le ramenant à son travail une fois de plus, et j'en profite pour sortir Noah de sa chaise. Il se débat à mon contact, laissant échapper un gémissement plaintif lorsque je tente de le serrer contre moi, et je me résous à le poser au sol pour qu'il aille où il veut. La chienne marche à côté de lui, fascinée par son nouveau compagnon depuis son arrivée, et je vois Noah s'arrêter un instant pour lui tapoter la tête.

Voilà que je regrette de ne pas être un chien, maintenant.

Noah repart de sa démarche mal assurée, traversant le salon de part en part sans but précis, et j'avance doucement derrière lui pour le relever s'il tombe. Je me souviens des propos de la directrice de l'orphelinat, comme quoi il commençait tout juste à marcher lorsqu'on l'a récupéré. Aujourd'hui, il trottine sans souci sur la moquette, attrapant tout ce qui est à portée de ses mains. Et moi, au lieu de me réjouir de ses progrès, je ne fais que me lamenter sur notre attachement inexistant.

Son attachement inexistant à moi, plus précisément. Parce que peu importe combien il me déteste, je ne peux pas m'empêcher de chercher son contact, espérant naïvement qu'il finira par se retourner un jour et me voir. Qui sait, dans une dizaine d'années peut-être…

Notre escapade s'achève dans le hall, où il s'assoit brusquement en attrapant une feuille du papyrus qui y trône. Je m'accroupis près de lui, retenant mes doigts de lui caresser les cheveux pour ne pas me faire repousser, et le regarde tirailler la pauvre plante tandis qu'Okami vient s'asseoir devant nous avec son air protecteur.

— Il faut que je te change, mon lapin, dis-je doucement en l'attrapant sous les aisselles.

Je ne formalise pas de son indignation et le porte jusqu'à la salle de bain, pour dix minutes de face à face avec ses cris et une couche sale. Ce n'est que lorsque Vincent lâche enfin son téléphone pour nous rejoindre qu'il se calme enfin, la joue posée sur son épaule.

— Désolé, c'était mon père. Il cherchait un dossier pour le projet…

Son père, le travail, toujours la même rengaine.

— Ma mère veut savoir si on vient toujours dîner ce week-end, ajoute-t-il en me voyant froncer les sourcils.

— Oui, on vient toujours. Au moins, là-bas, Noah trouve mieux à faire que m'éviter.

Même si je n'ai jamais rien eu contre les parents de Vincent, savoir qu'ils ont le droit à des sourires et deux-trois babillements, alors que je n'obtiens même pas un regard, a la fâcheuse tendance de m'agacer. Mon amant ne dit rien mais me suit au salon, déposant Noah sur son tapis de jeu avant de s'asseoir à mes côtés sur le canapé.

— Tu ne veux pas aller te reposer un peu ? demande doucement Vincent en écartant une mèche de mon visage.

Okami se joint à lui pour l'instant réconfort, posant sa tête sur mes genoux afin de réclamer une caresse entre les oreilles.

— Non, ça va. Je veux en profiter tant que tu es là.

— Je peux prendre ma journée demain, tu sais.

— Jude est là, demain, on doit aller faire du shopping avec Noah. Je ne suis pas sûr que tu aies très envie de venir.

Bien que Jude soit sa cousine, Vincent ne s'est jamais montré très enthousiaste à l'idée de passer une journée avec elle, surtout consacrée à des activités soi-disant pour filles. De mon côté, la jeune femme est le seul semblant d'ami que j'aie ici, et le fait que Noah l'apprécie n'est pas pour faire baisser sa côte du moment.

— Peu importe, un autre jour alors, répond Vincent. Tu es sûr que ça va ?

L'incongruité de la question a dû m'arracher un petit rire ironique, vu l'air surpris qu'il affiche.

— Est-ce que je suis sûr que ça va ? Parce que ça a l'air d'aller, tu crois ?

— Zach… tente-t-il de m'apaiser.

— Non, ça ne va pas, tu vois. Je déteste cet endroit, ce pays, je n'en peux plus d'être ici et ça fait déjà des mois que ça dure. Je n'en vois même pas le bout !

— Je croyais que ça te plaisait, d'être au bord du lac…

— Ça me plaisait les deux premières semaines, Vi. Maintenant je suis fatigué, je me sens seul, je me sens étranger et les seules personnes qui pourraient me réconforter sont à des milliers de kilomètres d'ici.

Je reprends ma respiration pour tenter de me calmer ; l'émotion commence à me gagner et le tremblement de mes mains est mauvais signe. Ce n'est pas le moment que je craque, vraiment pas.

— Tu sais que la semaine prochaine, c'est l'anniversaire des jumelles ? continué-je sur un ton dépité. On ne va même pas être là pour leurs dix ans…

— Je sais mais on n'y peut rien, il faut que l'on reste ici au moins jusqu'à la prochaine visite des services sociaux, soupire Vincent. Après ça on pourra rentrer, probablement définitivement… ce n'est qu'une affaire de semaines.

— Ça n'excuse rien, pas pour elles en tout cas. Violaine m'a dit qu'avec Nell, elles n'arrêtent pas de demander quand est-ce qu'on va revenir. Tu crois que « quelques semaines » ça va les calmer ? Tu te rends compte que la dernière fois que j'ai vu une photo d'Izzie, je ne l'ai même pas reconnue tellement elle a changé ?

Il reste silencieux puisque de toute façon, il n'y a rien à en dire. Les filles grandissent et nous ne sommes pas là pour le voir, en toute connaissance de cause. Ce choix de venir ici, de lutter comme on l'a fait pour notre rêve, n'était pas gratuit. Je savais ce que je sacrifierai pour ça, et j'aurais cru que ce serait plus facile. J'aurais cru qu'une fois Noah là avec nous, ces mois d'isolement en auraient valu la peine.

Au lieu de ça, depuis qu'il est là… je me sens encore plus mal.

— Est-ce que tu regrettes ? me demande soudain Vincent.

Je le regarde un moment, sondant dans ses yeux bleus la signification cachée de sa question, blessé aussi qu'il prenne mes doutes pour des regrets.

— Je ne peux pas regretter, soufflé-je avec autant de conviction que possible. C'est ce qu'on voulait, c'est pour ça qu'on s'est battu. Je voudrais juste qu'il me tolère au moins un peu…

— Je sais, baby, murmure-t-il en me caressant la nuque. Il faut que tu t'accroches, pourtant. Il te teste juste parce qu'il a peur qu'on l'abandonne, c'est compréhensible, non ?

— Comment peut-il croire que je vais agir comme eux ? Le ramener dans cet endroit glauque… je ne pourrais jamais lui faire ça.

Glauque, le mot est faible. L'établissement vieillot et morne où nous sommes allés le chercher n'avait rien pour laisser une bonne impression, et y voir tous ces enfants traîner avec leur air absent, vide , les voir nous regarder avec l'espoir qu'on les sorte d'ici… ma petite crise de nerfs dans la voiture, ce soir-là, n'avait pas échappé à Vincent.

Je regarde Noah du coin de l'œil, toujours assis sur son tapis. Si seulement on pouvait communiquer, ne serait-ce qu'un peu, tout ce malaise n'aurait peut-être pas lieu d'être.

— Tu ne peux pas espérer qu'il te croie sur parole, dit-il en captant mon regard angoissé. Petit à petit il va se détendre, et toi aussi. Il faut juste laisser le temps agir.

— Mais pourquoi juste avec moi ?

— Parce que tu es le plus important pour lui, Zach. Tu es là vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c'est toi qui régis sa vie. C'est ton approbation qu'il cherche.

Mon approbation ? Je le regarde encore une fois, sa fine chevelure noire qui flotte sur sa tête comme un duvet d'oiseau, sa silhouette un peu trop mince pour un enfant de seize mois, ses petits yeux noirs qui observent les jouets colorés autour de lui. Ces mêmes petits yeux que j'ai croisés il y a un mois, dans cette chambre défraîchie, qui ont montré de la curiosité, puis de la surprise lorsque je lui ai tendu ce lapin beige qu'il a saisi tout doucement. Ceux que j'espérais croiser à chaque seconde, véhiculant ses émotions ; ceux qui m'évitent et restent désespérément froids.

— Tu crois que je devrais le laisser tranquille ? demandé-je tout bas. Tu crois qu'il en a marre que je sois tout le temps dans ses pattes ? Peut-être que si je le laissais à Jude quelques heures par jour…

— Je croyais que tu voulais t'occuper de lui toi-même tant que nous sommes à Chicago ?

— Mais si ce n'est pas ça qu'il veut, je pourrais reprendre les cours de cuisine…

À notre arrivée aux Etats-Unis, le père de Vincent s'était arrangé pour que je donne des cours de pâtisserie française aux clients de ses hôtels. Mon manque de diplôme et de rigueur en cuisine m'avaient incité à refuser, mais Vincent était parvenu à me convaincre que ce serait amusant. Et ça l'avait été ; apprendre à des femmes de businessmen et à de riches retraitées à faire de tout simples pains au chocolat, qu'elles n'ont jamais réussi à prononcer, s'est avéré assez drôle pour me faire oublier la sensation de déracinement.

Et avoir arrêté à l'arrivée de Noah n'était peut-être pas une si bonne idée, dans le fond.

— Arrête, Zach, me coupe Vincent en me forçant à le regarder dans les yeux. Je sais que c'est difficile pour le moment mais si tu laisses tomber alors tu vas juste lui donner raison et ça prendra encore plus longtemps pour qu'un lien se crée. Une fois qu'il aura compris que l'on tient vraiment à lui et qu'il n'a plus besoin de prendre ses distances, tout se passera bien. J'ai besoin de toi, on a tous les deux besoin de toi. Okami aussi, regarde ! Qu'est-ce qu'on ferait sans toi ?

En effet, ma chienne me pousse la main du museau pour que je continue à la caresser et je me force à le faire tandis que Vincent se lève, prenant dans ses bras notre fils qui vient de bâiller pour la énième fois. Je le laisse le baigner et le mettre en pyjama seul, soudain trop épuisé pour ne serait-ce que bouger du canapé.

Combien de temps encore est-ce que cela va durer ? Je garde l'espoir fou que malgré la froideur qui règne entre nous, la conclusion définitive de l'adoption se fera vite, assez vite pour que l'on rentre chez nous et que je puisse envisager notre vie avec un peu plus de sérénité qu'ici. Être en présence d'autres enfants lui fera du bien, me fera sûrement du bien aussi, et tout pourra finalement rentrer dans l'ordre.

Oui, tout va rentrer dans l'ordre. Il ne reste que quelques semaines à tenir, juste quelques semaines.

Un rire me sort de ma réflexion, auquel je ne suis pas accoutumé, et ce n'est pas sans surprise que je vois Vincent revenir de la salle de bain avec un Noah étrangement enjoué dans les bras. Celui-ci porte son peignoir éponge vert et tient à la main un pot de sels de bain, qui en le secouant produit un tintement qui semble l'amuser.

Voir mon partenaire et mon fils heureux ainsi devrait sûrement me réjouir sans limites et pourtant, ce sont des larmes que je sens perler au coin de mes yeux. Dire que je fais tout pour ça, et que Vincent n'a eu besoin que de sels de bain pour le faire rire…

Soudain je ne peux plus m'empêcher de pleurer et laisse les larmes couler librement, la tête renversée en arrière sur le dossier du canapé. Je fais signe à Vincent de repartir d'une main, l'autre occupée à masquer mon visage défait, mais au silence qui nous entoure je devine qu'il n'en fait rien.

Voilà, j'ai réussi à gâcher la bonne humeur générale, et tout ça à cause de ma foutue hypersensibilité, ces derniers temps. Bien joué, père indigne.

J'entends Okami gémir contre ma jambe, désemparée face au comportement lunatique de son maître, puis le bruit d'un pot qui tombe sur la moquette. Je sens alors le canapé s'enfoncer près de moi et surpris par sa manœuvre, je tourne la tête vers Vincent pour tenter de voir quelque chose à travers le brouillard de mes larmes.

Mais ce qui attire mon attention, ce n'est pas l'air inquiet de mon amant ; c'est celui de Noah, ses yeux fixés dans les miens et ses sourcils froncés. Et puis, tout à coup, ce sont ses bras que je vois, tendus vers moi, et j'arrive à peine à réaliser qu'il vient de quitter le refuge de ceux de Vincent pour venir à ma rencontre. Il m'enjambe de ses petits pieds nus, se postant face à moi, et ses mains viennent se poser sur mes joues pour y étaler mes larmes dans une vaine tentative de les faire disparaître.

Il est inquiet pour moi. Il me regarde. Moi.

J'ai l'impression que mon cœur va exploser.

Lorsqu'il se laisse tomber assis sur mes genoux, je ne peux m'empêcher de passer mes bras autour de lui pour le serrer contre moi, priant silencieusement pour qu'il accepte mon étreinte cette fois-ci. Et comme par miracle, il ne me repousse pas, nichant son visage au creux de mon cou comme je l'ai vu faire avec Vincent si souvent. Je me mets à rire à travers mes larmes, sidéré que ma tristesse soit la clef pour rompre la première de ses barrières, et le serre un peu plus fort pour me persuader que c'est bien réel, que c'est bien un premier pas vers ce « nous » que j'attends sans relâche.

— I love you so much, my angel, murmuré-je à son oreille.

Son silence me suffit, ça et le petit coup de tête d'Okami, ça et la caresse des lèvres de Vincent sur les miennes, de son front contre le mien et le sourire rassurant qu'il m'envoie. Puis il nous enlace tous les deux, délicatement, formant un cocon autour de nous, nous emprisonnant dans cette chaleur apaisante qui calme les tourments qui nous ravagent.

Je l'espère pour de bon.

 

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