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-9. Maybe Someday
Non je ne le referai pas, je ne veux plus faire semblant
Si ça ne peut pas redevenir comme avant
Je dois laisser cela se finir

The Cure, 2000

 

Combattre la douleur par la douleur. Ce qu'il cherche ce sont ses mains, ses yeux et la façon dont ses gestes maladroits le font sourire, mais tout ce qu'il a c'est le silence de ces quatre murs et le bruit lourd de son cœur qui pulse jusque dans son poignet, couvert d'une fraîche gaze.

Ces dernières semaines n'ont été qu'une ascension de catastrophes. Passer tant de temps avec lui, c'était trop beau, presque inespéré. Et ce concert l'avait laissé au bord des larmes, à la limite de se jeter dans ses bras ; il a d'ailleurs suffi d'une simple cassette et d'un peu d'alcool pour qu'il passe finalement à l'acte.

Que ses yeux soient fermés ou ouverts, il n'arrive pas à chasser l'image de la déception qu'il a vue dans ses yeux à ce moment, marquée au fer rouge dans son esprit, le prélude de son rejet final et définitif. Ce soir-là, il a couru assez loin pour que Chris le rattrape à bout de souffle, puis pleuré ses espoirs jusqu'à ce que l'épuisement le stoppe. Après, ce ne sont plus que des souvenirs flous. Le visage de Chris à son réveil, sa pitié, son insistance à rester près de lui alors que tout ce qu'il voulait c'était être seul et mourir. Des souvenirs pesants.

Et Sacha était revenu, le forçant à l'affronter, à dire ces choses qu'il aurait voulu oublier mais qui reviennent sans cesse dans ses pensées. Cette fois-ci c'est lui qui l'avait rejeté, parce que c'était plus facile, parce que ça faisait trop mal, et maintenant plus rien ne pourra les ramener en arrière. C'est tout juste s'il peut croiser ses yeux sans repenser à son geste, sans repenser à ce regard, tout ça devenant tellement dur à supporter qu'il préfère encore l'éviter pour le dégoûter de lui et qu'il puisse enfin s'en détacher.

Chris ne cesse d'appeler, le connaissant trop bien pour marcher dans sa fausse désinvolture, mais même les blagues de son meilleur ami ne parviennent pas à lui arracher un sourire. Il s'est une fois de plus enfermé sur lui-même, allongé dans l'obscurité de sa chambre, une lame de rasoir encore couverte de sang frais tournant entre ses doigts. Désormais, il évite de lécher ses plaies, ne mangeant plus assez pour supporter les longs hoquets de régurgitation qui s'en suivent. Alors il se contente de fixer ses yeux au plafond et de faire tourner dans sa tête les mêmes pensées stériles, souvenirs de ses erreurs qu'il semble recommencer encore et encore, sans jamais rien apprendre.

Soudain, un cognement à la porte le fait sursauter, mais il ne se sent pas l'énergie d'aller ouvrir. Un bruit de clef s'en suit, puis des pas dans l'entrée, ceux de Chris si son oreille ne lui joue pas des tours. Il se relève rapidement, cache sa lame dans un tiroir pour ne pas qu'il la voie et déroule ses manches pour masquer ses récentes activités.

Chris surgit devant lui au moment où il ouvre la porte de sa chambre et le soulève brusquement dans ses bras dans une étreinte écrasante.

— Hey, grogne Gabriel en passant tout de même ses bras autour de ses épaules pour s'accrocher à quelque chose.

— Où tu étais, idiot ! J'étais mort d'inquiétude !

— Je n'ai pas bougé d'ici, qu'est-ce que tu racontes…

— J'ai essayé de t'appeler toute la soirée !

— Oh…

Chris le repose au sol mais laisse ses bras autour de sa taille et ses yeux dans les siens. Le souci qui y transparaît vient s'ajouter à la culpabilité que ressent déjà Gabriel, occupé à lui frotter doucement les épaules pour faire oublier l'angoisse.

— Je suis désolé, j'ai dû laisser mon portable en bas, je ne l'ai pas entendu. Mais pourquoi tu t'en fais, où veux-tu que je sois allé ?

Chris ne répond rien mais sa main remonte lentement de son flanc jusqu'à son poignet, pour caresser le bandage récemment posé avec un lourd soupir.

— Gaby…

Il le serre à nouveau contre lui et cette fois-ci, Gabriel sent son corps trembler, signe qu'il retient ses larmes. Un instant, un pincement au cœur lui fait regretter de se comporter avec autant d'insouciance.

— Non, je t'en prie, ne pleure pas pour moi…

Il sent déjà ses propres larmes menacer de perler au coin de ses yeux et les faibles tremblements de son ami ne font rien pour aider à les retenir.

— J'ai peur… articule difficilement Christophe en le berçant dans ses bras. Je ne sais pas comment te faire comprendre qu'à chaque moment où tu es seul, je suis terrifié qu'il t'arrive quelque chose, que tu fasses une bêtise et que je ne sois pas là pour te ramener…

Les mots restent coincés dans sa gorge et Gabriel finit par se laisser aller lui aussi, incapable de le rassurer sans mentir ne serait-ce qu'un peu. Son ami l'entraîne jusqu'au lit et les allonge ensemble sur la couette, sans relâcher un seul instant son étreinte.

— Gaby, hoquette le jeune homme en cherchant son regard.

— Je…

— Je t'aime, tu sais, et je t'interdis de faire quoi que ce soit sans m'appeler avant... Tu m'entends ?

— Moi aussi je t'aime, murmure Gabriel en déposant un bref baiser sur ses lèvres.

Et au lieu de s'écarter, Chris accepte le geste, pressant leurs fronts ensemble pour lui prouver que rien ne pourra jamais l'éloigner de lui.

— Je t'aimerai toujours.

Gabriel ferme les yeux et se blottit contre lui, serrant de toutes ses forces le tissu de son pull pour ne pas le laisser partir. La dernière de ses intentions, de toute façon.

--

— Ça sent bon… souffle Gabriel en entrant dans la cuisine.

— Pommes de terre avec des oignons, du fromage et des champignons.

— Un peu sec pour le petit déjeuner, non ?

Chris rit en éteignant le feu sous la poêle, puis sert son contenu dans une grande assiette où il plante deux fourchettes avant de la poser entre eux.

— Il est midi et demi, Gaby.

— Oh…

En effet, l'horloge indique midi passé, et la bonne odeur de la préparation de son ami ne manque pas de l'inciter à en manger un peu.

— Ça va ? lui demande Chris entre deux bouchées.

— On fait aller.

— Tu veux m'en parler ?

Gabriel le regarde longuement, conscient que son meilleur se fait vraiment un sang d'encre pour lui, mais la perspective de reparler des événements de la veille ne le réjouit pas particulièrement. Il finit tout de même par accepter, incapable de résister au regard de chien battu que lui renvoie Chris.

— Sacha a laissé un message.

— À propos de quoi ?

— De renouer en tant qu'amis.

Christophe le regarde avec attention, au courant de sa petite crise de nerfs en présence du jeune homme et de sa tendance à soigneusement l'éviter depuis.

— Et tu comptes faire quoi ?

— Je ne sais pas, soupire Gabriel en baissant la tête. Pour l'instant, j'ai juste envie de me vider la tête et d'arrêter d'y penser, sinon je crois que je vais exploser.

— Tu veux qu'on sorte, tous les deux ? Ça fait longtemps qu'on n'est pas allé plus loin que ton canapé…

— C'est gentil mais pas tout de suite, je voudrais me reposer un peu.

— Ok, ça tombe bien j'ai un polycopié à lire, comme ça tu pourras dormir.

Gabriel ne peut s'empêcher de sourire devant ses efforts pour faire semblant d'avoir quelque chose à faire, dans le seul but de rester près de lui. Une présence qui, contrairement à d'habitude, s'avère plus que bienvenue.

Chris s'assied dans le canapé, son fameux polycopié déniché quelque part au fond de son sac à la main, rapidement rejoint par Gabriel qui s'étale de tout son long entre les coussins, la tête posée sur ses genoux. Chris lui caresse distraitement les cheveux, sachant parfaitement que cette action va causer tôt ou tard l'endormissement du jeune homme.

D'ailleurs, à peine quelques minutes plus tard, son souffle lent et régulier vient confirmer la théorie ; il sourit et laisse ses doigts entre les douces mèches noires de Gabriel, bien décidé à ne pas troubler son éphémère quiétude.

--

— Alors ça y est, tu te décides à sortir de ta caverne ? plaisante Chris en le regardant fouiller dans son armoire.

— Je te rappelle que j'ai repris les cours ce matin, grogne-t-il en réponse.

Là, cette maudite chemise noire sur laquelle il n'arrivait pas à mettre la main. Il la boutonne rapidement et part à la recherche d'un élastique pour dégager un peu son visage. Chris le regarde faire avec amusement, retenant un soupir en voyant les larges bracelets de cuir que son ami continue à porter pour masquer ses cicatrices.

— La princesse est prête ?

— La princesse t'emmerde ! rétorque Gabriel en lui envoyant son écharpe au visage.

Une demi-heure plus tard, Chris se gare sur un parking de centre commercial afin qu'ils se rendent à pied jusqu'à la galerie d'art, située au détour d'une petite rue pavée.

Le bruit de la sonnette attire le gérant qui apparaît devant eux avec un grand sourire.

— Bonjour ! Je peux vous aider ?

— Nous avons rendez-vous à dix-huit heures, annonce Chris.

— Ah oui, je me souviens ! Vous êtes le jeune homme qui a apporté ce carnet d'esquisses, n'est-ce pas ?

Chris hoche la tête et serre la main de l'homme, rapidement imité par Gabriel.

— Et je suppose que vous êtes l'artiste, fait-il savamment remarquer.

Gabriel rougit et acquiesce timidement, subitement impressionné par cet homme qui le connaît par une facette de lui-même qu'il n'a pas l'habitude de dévoiler.

— Je m'appelle Jérémy. Suivez-moi, nous allons discuter autour d'un café.

Appelant une jeune femme pour le remplacer à l'entrée de la galerie, il conduit les deux garçons dans une arrière-salle où trônent quelques fauteuils de velours, ressemblant fortement à des sièges de cinéma, et leur fait signe de s'installer.

Malgré lui, Gabriel sent qu'il a la bougeotte et Chris ne peut s'empêcher de sourire devant la nervosité de son ami habituellement si inébranlable en public. Jeremy réapparaît rapidement avec son carnet et vient s'asseoir près de Gabriel.

— J'ai regardé attentivement vos dessins et il y en a quelques-uns qui m'intéressent.

Il tourne rapidement les pages et s'arrête sur un croquis de paysage, celui d'une vallée italienne où la mère de Gabriel le traîne chaque année pour la traditionnelle visite familiale.

— Celui-ci est très réussi, on sent la nostalgie du paysage, le détail de la végétation… j'aime beaucoup la façon dont chaque chose est travaillée minutieusement.

— Je ne m'en rends pas trop compte, ça vient comme ça, avoue Gabriel en croisant le regard brillant de son critique.

— C'est ça qui rend les choses encore meilleures ! s'exclame-t-il en passant à un autre paysage. J'aime bien celui-ci également.

Il s'arrête sur un croquis du centre-ville, qu'il avait dessiné lors d'un après-midi passé assis sur un banc.

— Il y a cette faculté d'individualiser la foule, de leur donner des visages et des expressions à tous… on ressent vraiment l'attention à la personne et non à la masse. Mais je vous avoue tout de même que là où le talent se ressent le plus, c'est dans les portraits.

Il s'arrête alors sur presque chaque esquisse du carnet, faisant brièvement apparaître les silhouettes de Lena, Guillaume, Manu et un étalage d'autres personnes qu'il avait vues ou croisées dans sa vie. Celui de Chris revient d'ailleurs assez souvent pour faire rougir ce dernier, à qui Jérémy lance des regards amusés.

— J'ai gardé mon préféré pour la fin, poursuit celui-ci en ouvrant le bloc à la dernière page.

La chaleur monte brusquement au visage de Gabriel en découvrant devant ses yeux les traits du premier portrait de Sacha qu'il avait fait, l'image de son sourire un matin dans sa cuisine. Il croyait que Chris avait récupéré un vieux carnet à lui, où il gribouillait encore un peu tout et n'importe quoi, mais visiblement le forfait est bien plus récent.

— On ressent tout de suite que c'est quelqu'un de spécial, quelqu'un de lumineux, commente Jérémy en fixant le dessin. Même en noir et blanc la scène semble riche, comme si la simple expression de son visage suffisait à colorer la page. J'admets que c'est un peu celui-ci qui m'a poussé à vous demander de venir, j'espérais que vous en auriez d'autre avec ce modèle.

— Ah, je… balbutie Gabriel.

Chris lui lance un coup d'œil réprobateur, le poussant à avouer que c'est en effet le cas.

— Oui, il y en a d'autres, admet-il alors.

— Je pourrais les voir ? demande Jérémy avec un grand sourire. S'ils sont aussi bons que celui là, l'idéal serait d'en avoir deux ou trois en grand format pour l'exposition de cet automne. Vous dessinez seulement au fusain ?

Après discussion des détails techniques, Gabriel finit par donner son accord pour repasser avec son dernier carnet en date, et éventuellement produire des toiles en grand format. La perspective de rendre quoi que ce soit en couleur le terrifie partiellement mais Jeremy ne semble finalement pas dérangé par une série en monochrome, et c'est l'esprit confus que les deux garçons quittent la galerie quelque temps plus tard.

Il faut dire que Gabriel n'a jamais réellement songé à montrer ces dessins à qui que ce soit, et maintenant que Chris lui a en quelque sorte forcé la main, il n'en revient pas qu'on puisse être aussi intéressé. Son ami ne cesse d'ailleurs pas de le taquiner sur le trajet retour, comme quoi c'était sûrement le début de sa carrière d'artiste ; il se garde bien de lui dire que ce n'est pas exactement ce qu'il avait prévu dans l'immédiat.

--

Désormais qu'il évite Sacha, ses journées ont retrouvé la routine habituelle de ces dernières années ; des cours mornes, des déjeuners futiles avec l'équipe de natation, des soirées passées à tourner en rond dans sa chambre… au bout de quelques jours à répéter cette lancinante rengaine, il décide d'appeler Emmanuel pour lui proposer une soirée, après être tombé par hasard sur son « cadeau » oublié au fond d'un placard. Quel crétin de lui avoir acheté un gode, il n'en est tout de même pas encore rendu là…

À peine une heure plus tard, il est devant la porte du jeune homme qui le fait rapidement entrer.

— Comment ça va ?

Gabriel s'abstient de répondre et le suit jusqu'à sa chambre, s'asseyant sur le lit à ses côtés. Manu se saisit d'une boîte en métal dans son tiroir et entreprend de rouler un joint.

— Tu t'es fait jeter par ton mec ? demande-t-il, les yeux rivés sur sa préparation.

— Ça n'a jamais été mon mec, grogne Gabriel en se laissant tomber à plat sur les draps défaits.

— Ouais, c'est pareil. T'as l'air déprimé.

— Parce que ça change de d'habitude ?

Manu allume son joint et en tire une première bouffée avant de le lui passer.

— Peu importe. Laisse tomber ce mec, t'en trouveras d'autres. L'océan est plein de poissons.

— J'ai jamais aimé la pêche, rétorque-t-il amèrement, provoquant le rire de son ami.

Cette discussion décousue se poursuit jusqu'à ce que leur passe-temps se soit entièrement consumé et que Manu le remplace par une bouteille de tequila.

— Au fait, je vais me faire un nouveau piercing, ça te tenterait de te joindre à moi ?

— Un piercing ? Où ça ?

— J'hésite encore…

— Laisse tomber pour moi, si mes parents voient ça ils m'envoient illico en internat, soupire Gabriel en faisant tourner une capsule entre ses doigts.

— T'es pas obligé de le faire en plein milieu du visage, non plus.

— Je fais de la natation je te rappelle, ce n'est pas évident de cacher ce genre de truc. Et si c'est pour l'enlever trois fois par semaine…

— Bah j'ai bien une idée sinon, réplique Manu en se penchant vers lui.

Gabriel hausse un sourcil et sursaute lorsqu'une main se pose sur sa cuisse, remontant lentement jusqu'à son entrejambe pour le presser brièvement.

— Il paraît que c'est hyper sexy, chuchote Manu à son oreille.

— Tu déconnes ! Je ne vais pas laisser un mec me percer la queue !

— Tu ne serais pas le premier, ça ne craint rien.

— Ça ne va pas bien…

Le jeune homme se rapproche encore un peu et donne un petit coup de langue sur sa bouche. Gabriel se laisse faire et bien vite, leurs langues sont occupées à fouiller avidement la bouche de l'autre. Alors que la main d'Emmanuel, qui n'a pas bougé, commence à le masser sensuellement, la sonnette de l'entrée retentit et ils se séparent à contrecœur.

— Bouge pas, j'ai invité quelques potes pour la soirée, on va s'amuser un peu.

Gabriel n'aurait habituellement pas accepté ce genre de proposition mais l'état dans lequel il se complaît ces derniers jours commence à sérieusement lui taper sur les nerfs ; pour une fois, il a bien envie de s'amuser, et peu importe le genre d'« amusement » que Manu a en réserve.

Quelques minutes plus tard, son ami est de retour, accompagné par trois filles et deux garçons qui le saluent rapidement avant de se disperser dans la pièce. La chambre d'Emmanuel est au moins aussi grande que la sienne et on aurait pu facilement la transformer en studio ; autant dire qu'il y a la place d'y accueillir pas mal de monde.

Sur fond de musique techno un peu assourdissante, ils poursuivent tous ensemble une conversation bien peu intéressante que Manu interrompt vite pour leur proposer un petit extra.

— Chut, détends-toi pour une fois, réprimande-t-il Gabriel devant sa réticence à accepter le cadeau.

L'alcool a raison de sa bonne conscience et il laisse son ami lui déposer quelque chose sur la langue qu'il laisse fondre, avalant une gorgée de ce qui se trouve dans la bouteille la plus proche pour faire passer le goût.

Petit à petit, il perd pied dans cette réalité un peu trouble qui a remplacé la soirée ennuyeuse, essayant vainement de mettre un nom sur ces visages et une raison sur leurs actions, sans pouvoir vraiment dire dans quelle direction il regarde. Une fille rampe vers lui et l'embrasse mais il la repousse, dégoûté par l'odeur entêtante de parfum et le contact de son rouge à lèvres. Visiblement, cette dernière ne s'en offusque pas puisqu'il lui semble la voir s'asseoir sur les genoux d'un autre invité, qui s'empresse de lui glisser une main sous la jupe.

— Celui-ci il est pour moi, glousse Manu en tirant Gabriel à lui.

Ils s'effondrent tous les deux au sol en riant, lui allongé sur le dos et son ami assis sur son bassin. Ce dernier attrape une bouteille au hasard dont il boit une longue gorgée, avant d'en faire couler une partie dans la bouche de Gabriel qu'il accompagne de sa langue.

Comment a-t-il pu se soucier autant d'un simple mec ? Pourquoi s'être gâché la vie pour de foutues illusions alors qu'il a bien mieux juste à portée de main ? Les beats violents de la musique rythment son cœur, les vapeurs de l'alcool son cerveau, et le peu de conscience qu'il lui reste est avalé entre les lèvres avides d'Emmanuel. Il se sent bien, enfin, il se sent libéré de ses démons en cet instant et rien ni personne n'aurait pu le convaincre de se sortir de ce paradis artificiel.

Les doigts de son compagnon se glissent sous sa chemise pour griffer doucement ses mamelons, se dirigeant ensuite vers sa braguette qu'il défait en une fraction de seconde. Gabriel rit dans sa bouche, enivré par les frissons qui font vibrer son corps, et gémit faiblement lorsqu'une main se faufile dans ses sous-vêtements. Chair contre chair, il se cambre et absorbe la sensation de la peau douce et humide d'un membre contre le sien, de celle de doigts les entourant. Il reste immobile et cela ne dérange pas son partenaire qui s'active à les caresser ensemble, lui arrachant des soupirs de plaisir qu'il étouffe de ses baisers humides.

Une autre main se joint à l'action, pas la sienne pourtant, et Manu sourit à la brunette qui s'incruste à leur petite séance. Bizarrement, Gabriel s'en moque, à deux mains c'est encore mieux et peu importe à qui elle est. Le jeu se poursuit derrière ses paupières closes, les sensations physiques se mêlant aux images psychédéliques qui défilent dans le noir de son esprit, et une explosion de couleurs imaginaires lui apprend qu'il a atteint le point de non-retour. Un liquide chaud vient lui arroser le ventre et il y mêle le sien en de douloureux spasmes qui finissent de l'achever. Manu s'écroule à côté de lui et il sent une langue lui nettoyer le ventre, dont l'identité inconnue du propriétaire ne l'intéresse absolument pas.

L'idée de rentrer lui traverse un instant l'esprit mais la chaleur de la pièce est trop tentante, les vibrations de la musique trop apaisantes et il coupe son moteur pour rejoindre l'idyllique coma où Emmanuel l'attend déjà.

--

Les retombées de la soirée se font sentir les jours suivants, où il fait de son mieux pour se tenir à carreau histoire que son silence ne passe pas pour les relents d'une impressionnante gueule de bois. Pourtant, l'envie est grande de mettre de côté la bienséance pour renouveler l'expérience encore une fois, faire taire ses pensées parasites et oublier un court instant les yeux de Sacha qui le fixent un peu trop souvent pour l'accuser de son absence.

Il cède en quelques jours, se retrouvant aussi vite que la dernière fois devant la porte d'Emmanuel mais avec la raisonnable intention de se limiter à ce qui se fume ou se boit.

— Tu veux faire un tour ? demande Manu entre deux verres.

— Où ça ?

— Chez le perceur. On n'a qu'à y aller maintenant.

— Tu fais comme tu veux, c'est pour toi…

— Allez, te dégonfle pas, le charrie son ami. Il est temps de lâcher du lest !

— Ouais, enfin…

— Recommence pas avec tes excuses, je préfère le nouveau Gaby qui est fun et qui essaye de nouveaux trucs… Allez, je te promets que tu le regretteras pas.

Le nouveau Gaby… peut-être qu'il a raison après tout, que les regrets ne servent à rien et qu'il est temps qu'il se mette à vivre. Ce n'est pas comme s'il craignait la douleur, celle qu'il cherche et trouve au bout de ses lames, celle qu'il a de moins en moins envie de quitter.

Le rire de Manu l'entraîne dehors, parmi les rues faiblement éclairées de cette nuit d'hiver, à travers la masse de ces êtres impersonnels. Mais soudain une ombre les percute puis s'impose devant ses yeux troubles, silhouette tristement familière qui le fait malgré lui s'arrêter.

Le regard de Sacha lui fait comprendre qu'il attend une explication à sa présence, et la seule chose qu'il parvient à sortir est :

— On allait boire un verre…

Il voit le dégoût déformer ses traits alors qu'il recule d'un pas, sans doute conscient de leur état déjà éméché. Les excuses de Gabriel ne parviennent pas à franchir ses lèvres et cela suffit pour qu'il tourne les talons, qu'il lui tourne le dos et s'éloigne d'eux.

Il comprend une seconde trop tard que c'est peut-être sa dernière chance avant qu'il lui tourne le dos pour toujours et crie pour le retenir, mais Sacha ne s'arrête pas et se fond dans les ténèbres. Lorsque Gabriel fait un pas dans sa direction, Emmanuel le retient, le forçant à avancer sur le chemin convenu.

— Je t'ai déjà dit de laisser tomber ce mec, il sent la prise de tête à plein nez. Crois-moi, t'as pas envie de perdre ton temps avec ça.

Il se tait et le suit, malgré le fait que son cœur soit si serré qu'il se demande comment il fait pour battre encore. Il faut oublier, l'oublier, vite…

— C'est ici, l'informe Manu en le poussant dans une boutique.

L'endroit est propre et moderne, bien plus qu'il ne l'aurait cru, et l'homme au comptoir inspire une étrange confiance malgré son look d'échappé d'une bande de fans de Motörhead.

— Salut cousin, lance Manu en lui serrant la main.

Gabriel se contente de hocher la tête pour signaler sa présence.

— T'es libre pour un piercing ?

L'intéressé les invite à s'asseoir derrière un paravent et leur sort une feuille de décharge à chacun, que Gabriel regarde avec un air plus que perplexe.

— Tu dois signer ça pour dire que tu es majeur, consentant et pas bourré, ce genre de trucs, explique Manu avec un sourire de maniaque.

Tout ce qu'il n'est pas, donc. Il signe tout de même, amusé de mentir autant en un seul geste, et écoute ses deux acolytes débattre du lieu de piercing parfait dans son cas.

— T'as bien un bonnet sur tes petites oreilles, monsieur nageur, plaisante Manu. Ça ne se verra pas… et c'est un classique indémodable, l'oreille.

— Ouais, une boucle d'oreille, et puis un pendentif en diamant avec écrit « homo » pendant que t'y es aussi, réplique-t-il en riant jaune.

— Mais non, dans le cartilage, idiot…

Le tatoueur lui tend un catalogue pour qu'il réfléchisse pendant qu'Emmanuel se décide pour un labret. Il regarde du coin de l'œil l'aiguille s'enfoncer dans la lèvre inférieure de son ami, puis en ressortir luisante de sang, et doit se retenir de rire devant l'expression de douleur que ce dernier ne peut retenir. Finalement, le voir souffrir accentue son envie et il se laisse tenter par un industriel, reliant le haut de son cartilage par une barre transversale.

— Pour quelqu'un qui voulait faire dans le discret, pouffe Manu en tenant une compresse sur sa lèvre.

— J'ai des cheveux, à quoi tu crois que ça sert, rétorque-t-il en s'asseyant sur la table d'opération.

Il écoute d'une oreille distraite les explications de son bourreau, bien plus impatient de sentir enfin l'aiguille faire son office. La morsure de celle-ci ne le déçoit pas, tandis qu'elle s'enfonce lentement dans sa chair qu'elle transperce une première fois, puis une seconde, laissant derrière une douce sensation de brûlure qui ne manque pas de le faire sourire. Le métal qui vient se loger dans la blessure est froid et le contraste lui hérisse les poils du corps, délicieusement.

Décidément, il faut qu'il varie les sensations. Il y a sûrement bien mieux que de se taillader les veines.

— Et voilà, lui indique l'homme avant de le libérer.

Manu lui fait un sourire goguenard, encore anesthésié par la douleur de l'intervention, et ils payent tous deux de quelques billets froissés leur bienfaiteur avant de retrouver la froideur du dehors.

— Il est cool ton cousin, lâche Gabriel en lui donnant un petit coup d'épaule.

— Ouaip, ça fait au moins un gars dans la famille que je supporte.

— T'as bien de la chance d'en avoir un.

— Quand même, un Prince Albert ça aurait été classe…

Gabriel se met à rire et lui tapote amicalement le dos, toujours euphorisé par l'acte qu'il vient d'accomplir.

— Prochaine fois Manu, prochaine fois.

--

« Il faut prendre rendez-vous pour te parler ou quoi ? râle Chris à l'autre bout du fil.

— Ça va, j'étais occupé. Qu'est-ce qu'il y a ?

— Rien, je prends de tes nouvelles. C'est interdit ?

— Ça va très bien, content ?

— Gaby, c'est moi ou t'es de mauvais poil ?

— Ça doit être toi.

— Ok… bon, je peux passer te voir un de ces quatre ?

— Comme tu veux. Je te laisse, je ne suis pas chez moi. On se rappelle. »

Il raccroche sans laisser à son ami le temps de répondre et retourne auprès de Manu et ses invités, affalés sur le canapé en train de regarder un vieux film fantastique.

— Ta nounou s'inquiète ? s'enquiert le jeune homme en ricanant.

— Lâche-moi, grommelle Gabriel en reprenant sa place.

Emmanuel lui tend une bouteille de whisky mais avant de le laisser en boire, lui glisse deux pilules dans la bouche à travers un baiser mouillé.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Un truc sympa. Bois pour faire passer.

Il s'exécute et suit le film d'un œil en attendant les effets de la nouvelle surprise. Ça pourrait être n'importe quoi, acide, amphétamines, antidépresseurs, LSD… il préfère ne pas le savoir, deviner aux effets est bien plus amusant. D'ailleurs, ceux-ci ne tardent pas à se manifester et il se retrouve rapidement au pays des merveilles, entouré de cartes sur pattes à qui il aurait bien envie de coller une balle dans la tête. Mais surtout, le lapin blanc lui rappelle très fortement un certain Russe qu'il connaît, et il se promet qu'une fois qu'il lui aura mis la main dessus il se fera un plaisir de lui tordre le cou.

Le délire s'estompe à peine lorsqu'il met les pieds chez lui, étrangement satisfait d'être encore en état de parcourir la distance entre leurs deux maisons, mais la seconde surprise de la soirée n'est pas aussi amusante que la précédente.

— T'étais où, demande sans détour Chris en se levant des marches où il était assis.

— Pas tes affaires, lâche-t-il en jetant ses chaussures et sa veste dans l'entrée.

— Tu t'es saoulé ?

— Même si c'est le cas, qu'est-ce que ça peut te foutre ?

— Arrête bordel, tu me gonfles avec cette attitude ! s'énerve-t-il en lui saisissant le bras. Réponds-moi, t'étais où ?

— Chez Manu, souffle Gabriel à quelques centimètres de son visage avec un air menaçant. Maintenant tu me lâches et tu te casses si tu ne veux pas que ça dégénère.

— C'est nouveau ça, tu crois que tu me fais peur ? gronde Chris en resserrant son emprise.

De son autre main, celui-ci attrape sa mâchoire et le force à le regarder droit dans les yeux.

— Qu'est-ce que t'as pris ?

— J'en sais rien mais ça m'a bien fait planer, dit-il avec un sourire sarcastique.

— D'abord l'ecsta et maintenant tu te défonces à tout ce qui passe ? Ça ne va pas la tête ! Tu crois accomplir quoi en te comportant comme un imbécile, tu crois que ça va t'apporter quelque chose ?

— Je m'en tape ! Je m'en tape de faire des conneries, d'être malade, de crever. Je m'en tape de ce que tu penses alors va te faire foutre avec ta belle morale, moi j'en ai marre de cette vie de merde, j'en ai marre d'être sage et de pourrir dans mon coin. Laisse-moi, maintenant.

Il s'arrache à sa poigne et monte l'escalier vers sa chambre sans rien ajouter, espérant que Chris choisisse sagement de rentrer chez lui. Malheureusement, celui-ci n'en a pas encore fini et il s'arrête à mi-chemin de son ascension en l'entendant crier :

— Alors tout ce que tu m'as dit l'autre jour, c'était des mensonges ? Tout ce que j'ai fait pour toi depuis toujours, tout le temps qu'on a passé ensemble et toutes les choses qu'on a partagées, ça ne compte pas ?

Gabriel baisse la tête et garde le silence.

— T'es plus heureux maintenant ? C'est ça qui te plaît, boire et te défoncer jusqu'à en crever ?

— Et alors ? dit-il tout bas.

— Tu crois que je m'en fous mais ce n'est pas le cas, Gaby. Je ne suis peut-être pas ton père mais je suis quand même ta famille, que tu le veuilles ou non. Je ne te laisserai pas faire n'importe quoi à cause d'un moment de folie.

— Lâche-moi…

— Va te faire foutre, moi aussi je t'emmerde. T'es pas le seul à pouvoir faire des conneries.

Chris part sans ajouter un mot, le laissant seul et perdu au milieu de cet escalier qui ne lui semble mener qu'en enfer. Pourquoi maintenant ? Il se laisse tomber sur une marche et s'appuie contre le mur, soudainement épuisé. Chris n'était pas censé être là, ni voir ça. Il n'était pas censé faire irruption dans les mauvais côtés de sa vie.

Comment est-ce qu'il va faire maintenant, si le dernier de ses supports vient de rejoindre la longue lignée de ses rêves perdus ?

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Les journées qui passent lui laissent un goût encore plus amer qu'avant. Il n'a même plus la force de dessiner. Depuis une semaine, il n'a pas mis les pieds à la piscine sans donner la moindre explication à Guillaume, et la seule chose qui le retient de se trancher la gorge est la pensée que Manu aura de quoi lui faire oublier son désarroi pour une soirée supplémentaire.

Mais ce soir, les parents de Manu sont de retour, contrecarrant ses plans habituels. Un élan de folie le pousse alors à inviter le jeune homme et sa clique chez lui. Tant pis pour ce qui arrivera, il préfère encore essuyer les pots cassés que de se laisser dépérir dans les ténèbres de sa chambre un instant de plus.

— Canon, souffle une des filles en entrant, de celles dont il n'a jamais retenu le nom bien qu'elle soit immanquablement présente à toutes leurs soirées.

Manu ne s'embarrasse pas pour l'embrasser dès son arrivée, lui glissant comme à son habitude quelque chose dans la bouche, et l'entraîne aveuglément vers le canapé.

— Tu as envie ? demande le garçon en effleurant l'entrejambe de Gabriel.

— Pas maintenant, j'ai besoin de décompresser un peu avant, répond-il en écartant sa main.

— Tu veux un petit spectacle pour aider ?

Une des filles s'assied près d'eux et Manu glisse une main sous son tee-shirt en l'embrassant goulûment.

— Aw, non merci, grogne Gabriel en s'éloignant un peu.

Il trouve réconfort auprès d'un mec peu bavard et de sa bouteille de vodka, écoutant d'une oreille ses histoires de campus et autres petites aventures passionnantes d'une vie.

Soudain, le bruit de la serrure se fait entendre et Gabriel est encore assez lucide pour comprendre que quelqu'un est en train d'entrer.

— Planquez tout ! lance-t-il en séparant de force les couples indécents.

Les bouteilles et sachets disparaissent au moment où il atteint le hall pour tomber nez-à-nez avec un Christophe à l'air passablement énervé et un Sacha au regard noir.

Sacha, ici.

Dites-moi que j'hallucine.

— Je t'avais prévenu Gaby, gronde Chris en se rapprochant dangereusement. Si tu ne veux pas m'écouter alors on va passer à la phase supérieure, et si ça ne suffit pas je peux te jurer que j'y mêlerai ta mère ou la mienne.

Gabriel sent ses genoux flancher et recule fébrilement dans le salon. Tout le monde a les yeux tournés vers les deux intrus qui viennent d'allumer la lumière, gâchant l'ambiance et révélant par la même occasion le teint livide de leur hôte.

— Tout le monde dégage, la fête est finie ! tonne la voix sombre de Chris.

— On se calme, mère poule, réplique Manu en venant se placer aux côtés de Gabriel. Si je me trompe pas, c'est pas chez toi ici, alors je vois pas en quoi on devrait avoir quelque chose à foutre de ton avis.

Les yeux de Chris se braquent dans ceux de Gabriel et celui-ci sent leur flamme le consumer de l'intérieur, affaiblissant un peu plus sa résistance.

— Tu… tu devrais partir, dit-il faiblement en se tournant vers Manu.

— Quoi ? rugit l'intéressé.

— T'as entendu, connard ? Toi et ta bande vous vous barrez vite fait !

L'instant d'hésitation est rompu par le violent résonnement du poing de Sacha s'écrasant dans le mur, faisant vibrer toute la pièce.

— Maintenant ! gronde le jeune homme en faisant craquer ses doigts, ne laissant pas une once de doute qu'il peut s'en servir sur autre chose que de la brique.

Les squatteurs s'éclipsent rapidement en emportant leurs restes, bien moins téméraires que leur leader, et Emmanuel finit par leur emboîter le pas avec un reniflement dédaigneux.

— Cuisine, dit sèchement Chris en poussant Gabriel en avant.

Ils s'assoient tous les trois autour de la table et Gabriel sent les effets de la drogue toujours présents se changer en bad trip.

— Je te donne une dernière chance de régler ça entre nous, Gabriel. Alex est venu parce que comme moi, il garde espoir que ton cerveau fonctionne encore un peu et que tu vas retrouver la raison.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demande Sacha en fronçant les sourcils.

— Je…

Mais les mots ne veulent pas sortir une fois de plus, son état ne faisant rien pour arranger le processus.

— T'as complètement déconné, voilà ce qui s'est passé, lâche Chris. Je ne veux plus que tu voies ce mec et que tu touches à la moindre goutte d'alcool ou au moindre joint. Pas de soirées en solitaires, Alex et moi on va se relayer pour te tenir compagnie et tu vas reprendre l'entraînement.

— Tu ne veux pas m'accompagner pour aller pisser aussi ?

— Je ne plaisante pas, Gabriel. Je veux savoir où tu es à chaque instant ou je te préviens, ça va finir à l'hôpital psychiatrique et je peux te jurer que tu as ce qu'il faut pour y être admis.

— Je ne suis pas fou ! s'énerve-t-il en frappant la table.

— Alors prouve-le-moi.

Ils se jaugent un instant et finalement, Gabriel se lève en détournant la tête avec un rictus moqueur.

— C'est n'importe quoi.

Soudain, Sacha se lève à son tour et se plante devant lui pour faire la dernière chose à laquelle il aurait pensé : le gifler en plein visage. La force du choc le fait reculer d'un pas et il reste muet de surprise, se tenant la joue.

— C'est toi qui fais n'importe quoi, dit-il sur un ton étonnamment calme. Tu te comportes comme un moins que rien et tu fais du mal aux gens qui tiennent à toi. Si tu crois que tu es seul, continue comme ça et tu vas vraiment savoir ce que ça veut dire être seul.

Il le regarde avec des yeux écarquillés, tentant de faire assimiler tout cela à son cerveau brumeux, et son interlocuteur poursuit sans ciller :

— C'est comme ça que tu essayes de me convaincre de changer d'avis ? Tu crois que c'est comme ça que je vais t'aimer ? Tu te trompes Gabriel, parce que pour l'instant, tout ce que tu fais… ça me dégoûte.

Au moment où ses jambes cessent de le porter, il se sent à peine tomber, tout juste conscient de la dureté du carrelage heurtant ses genoux. Il sent son corps trembler et quelque chose enfoui au plus profond de ses entrailles remonter lentement à la surface, de plus en plus vite, jusqu'à exploser en de lourds sanglots qui baignent son visage de larmes.

Il pensait ne plus rien avoir et pourtant, il vient de perdre le dernier semblant de contrôle qu'il lui restait, sa dernière chance de revenir sur ses pas. Subir le mépris de Christophe, puis celui de Sacha qui depuis qu'il le tenait volontairement à l'écart, lui laissait toujours entrevoir une possibilité de renouer, est finalement le signe qu'il est allé trop loin.

Il ne sent plus que le poids de ses remords, ne voit plus que le brouillard causé par ses larmes, et le picotement de sa joue semble lui rappeler que désormais, le seul à qui il peut s'en prendre est lui-même.

 

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